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Saint Laurent du Maroni en Guyane (2/2), dans la peau d'un bagnard

Guyane Le portail d'entrée de cette ville dans la ville de Saint Laurent du Maroni

Se mettre mentalement dans la peau d’un bagnard ? Difficile, mais j’ai essayé en visitant à Saint Laurent ce qu’on appelle le « Camp de la transportation ». C’est d’ailleurs le nom qui reste affiché sur le fronton du portail d’entrée de cette sombre et douloureuse ville dans la ville. On parle souvent  du « bagne de Cayenne ». Cette appellation est impropre, car il y a eu plus d’une trentaine de lieux de détention en Guyane. Les plus connus sont ceux des îles du Salut et justement celui de Saint Laurent du Maroni qui était le plus important car c’était le centre de tri. En effet, c’est là que débarquaient tous les condamnés arrivant de métropole.

J’ai retrouvé dans des archives que le bagne de Guyane avait été créé en 1850 par Napoléon III pour « rendre la peine des travaux forcés plus efficace, plus moralisatrice, moins dispendieuse, et plus humaine en l'utilisant au progrès de la colonisation française ». Une intention rédemptrice qui resta une intention pharisienne. Le bagne ne fut fermé par décret qu’en 1938 mais continua de fonctionner jusqu’en 1953. Ce n’est pas si lointain ! Le reportage dantesque d'Albert Londres en 1920 y avait été pour quelque chose.

Le jour de ma visite, il fallait attendre l’ouverture du camp. Alors en cherchant la fraîcheur des alizés, je suis allé me promener, à quelques mètres de là, sur le bord du fleuve Maroni qui sert de frontière avec le Suriname, l'ex Guyane hollandaise. C’est là que les bagnards « transportés » depuis l’île de Ré débarquaient.70 000 détenus sont passés ici (dont près de 1000 femmes) en presque 100 ans. J’essaie de les imaginer, éprouvés par 2 à 3 semaines de traversée, écrasés par la chaleur et l’humidité et ne sachant pas vraiment ce qui les attend. La plupart finiront leurs jours ici.

Puis j’ai mis mes pas dans leurs pas et j’ai suivi la visite guidée (1) pour essayer de comprendre comment était organisé ce vaste centre pénitentiaire tropical, aujourd’hui en partie fait de ruines silencieuses, hantées par les cris qui y ont résonné. 1500 à 2000 bagnards en moyenne y cohabitaient. Construit par les premiers détenus eux-mêmes, le camp de Saint Laurent avait été ouvert en 1858 et les briques restent d’ailleurs marquées du sigle AP pour « administration pénitentiaire ». Cette cité de la souffrance était organisée en 12 grandes « cases » où les détenus par 50 étaient livrés à eux-mêmes la nuit. Difficile d’imaginer les règlements de comptes, trafics et orgies qui s’y passaient !

Dans le camp, un petit musée (2) livre des explications claires pour comprendre toutes les inscriptions délavées qu’on voit encore ici et là peintes sur les murs. Il y avait officiellement 3 catégories de détenus : les « transportés », de loin les plus nombreux, ceux qui  avaient été condamnés aux travaux forcés en cour d’assise ; les « relégués », des petits délinquants  récidivistes (ceux qui avaient eu plus de 4 condamnation à la prison en 10 ans) ; les « déportés » politiques, les moins nombreux, et qui étaient en général expédiés aux Iles du Salut.

On peut y ajouter une 4ème catégorie, celle des « libérés », une expression hypocrisite très éloignée de la réalité. Car tous les condamnés à plus de 8 ans devaient encore résider sur place une durée équivalente à leur peine initiale. Ils étaient alors condamnés à errer comme des fantômes pour chercher du travail dans la ville et tenter de survivre. Beaucoup ont dit que le vrai bagne avait commencé à ce moment-là. En réalité, ils étaient très vite condamnés à de nouvelles peines pour de petits larcins. Il n’y avait donc pratiquement pas de retour possible et leur condamnation était de fait à perpétuité… pour ceux qui survivaient dans des conditions sanitaires extrêmes ! L’expression « guillotine sèche », souvent employée, reflétait bien leur lente condamnation à mort.

A l’intérieur, l’ordre régnait grâce aux « porte-clefs », souvent d’anciens bagnards reconvertis, et avec la toute-puissance d’un tribunal d’exception, sans appel possible, le « tribunal maritime spécial ». J’ai franchi la porte de son prétoire et découvert une salle vide en essayant de me projeter à l’époque où cette cour pénale expéditive avait droit de vie et de mort sur les prévenus. Elle en a envoyé plusieurs à la guillotine. J’ai vu l’endroit où cet instrument surnommé « la veuve » faisait jaillir des flots de sang dans une des cours de ce camp.

Très difficile aussi de se mettre dans le quotidien des détenus. Réveillés à 5 heures, ils partaient pour une journée de travaux pénibles. Les récalcitrants étaient enfermés dans un quartier spécial et enchaînés la nuit, comme les condamnés à mort. Je comprends que le rêve de tous était l’évasion, entre l’enfer vert amazonien, la Guyane hollandaise et la mer. Environ 20 % l’auraient tentée. La plupart ont été repris, son revenus d’eux-mêmes pour survivre, ou sont morts sans laisser de traces. Une petite poignée a réussi comme le fameux Papillon, Henri Charrière, qui a surtout réussi un des plus grands succès de librairie du XXème siècle. Mais son témoignage est tellement arrangé qu’il est difficile d’y démêler le vrai du faux. Comme l’inscription « Papillon » que j’ai photographiée sur le sol d’une des cellules. 

(1) Le billet pour la visite guidée s’achète à l’Office du tourisme, à l’extérieur du camp, au bord du fleuve.

(2) A l’intérieur du camp a été ouvert un intéressant  Centre d’Interprétation de l’Architecture et du Patrimoine… pour quelques euros de plus, et une bonne heure de plus 

Destinations concernées: