Au carrefour de l’est et l’ouest. Quand j’ai débarqué à Riga j’ai trouvé cette ville inattendue, surprenante, étonnante avec une densité incroyable de somptueux immeubles d’art nouveau. Cette petite capitale excentrée en bordure orientale de l’Europe dont beaucoup de français ignorent même l’existence est classée au patrimoine mondial, et l’Unesco affirme sans ambages : "de l’avis général, c’est à Riga que l’on trouve la plus belle concentration de bâtiments d’art nouveau d’Europe".
J’ai vu des immeubles d’art nouveau bien sûr à Paris, mais aussi à Barcelone, Salamanque ou Lisbonne ainsi qu’à Glasgow ou New York et évidemment en Belgique, en Hollande, en Suède, en Hongrie, en Autriche, à Prague… Et même à Saint Pétersbourg ou Constantza en Roumanie… Mais je n’imaginais pas voir ces folies de la fin du XIXème et du début du XXème dans un petit pays balte.
Comment est-ce possible ? En fait Riga, capitale de la Lettonie, est depuis des siècles un port carrefour entre l’est et l’ouest. Il avait joué son rôle dans la fameuse "Ligue hanséatique" qui réunissait les marchands et ports de la mer du Nord et de la Baltique du moyen-âge jusqu’au XVIIème siècle. Le pays fut tour à tour sous influence allemande, suédoise, polonaise et russe. Au XIXème siècle, Riga était la troisième ville industrielle de l’Empire Russe et vit l’émergence de richissimes familles.
L’autre explication est l’installation dans cette ville d’un brillant architecte russe orthodoxe, Mikhaïl Eisenstein, d’origine juive germano-balte par son père et suédoise par sa mère. Il est le père du grand cinéaste Sergueï Eisenstein ("Le Cuirassé Potemkine" ou "Alexandre Nevski" !). La plupart des grands immeubles du cœur historique de Riga sont signés de Mikhaïl. On était en pleine folie de l’art nouveau qui voulait casser l’esthétique plate, carrée et figée du néoclassicisme.
On voit sur cet échantillon de façades que j’ai photographiées comment Eisenstein a mis du relief sur ces façades sardanapalesques en les peuplant de personnages et d’animaux. Il y a inséré des courbes et des arabesques dans les fenêtres et des balcons en ferronneries galbées comme dans un baroque sicilien, fait ressortir des bow-windows, mis des lignes de couleurs, surelévé les angles de toitures de tourelles qu'on dirait tirées d'un chateau des Carpates…
