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La liberté de voyager

Sur ce chemin, est-ce une voyageuse protégée ou persécutée ?

Voyageurs protégés et voyageurs persécutés. Il y a deux sortes de voyageurs dans le monde. Tous fuient plus ou moins quelque chose et, surtout, tous aspirent à davantage de liberté. Mais les mots « fuite » et « liberté » employés par les uns et les autres n’ont ni le même poids ni le même sens et ne représentent pas du tout le même enjeu. J’appelle la première sorte, les « voyageurs protégés » et la seconde sorte, les « voyageurs persécutés ». Ils se croisent dans les aéroports, les trains, sur les routes, aux frontières, mais ils s’ignorent et n’appartiennent pas aux mêmes mondes.

Voyageurs protégés

La première catégorie, celle des voyageurs protégés, est celle de vous et moi, qui avons la chance d’être nés ou d’avoir été intégrés du bon côté et qui partons en voyage de loisirs ou d’affaires. Nous sommes en règle, munis d’un bon passeport et de visas en bonne et due forme, obtenus facilement, protégés non seulement par notre bon droit, mais aussi par la force de l’Etat sous les couleurs duquel nous circulons. Si nous lançons un SOS, l’assurance-assistance vole à notre secours. En cas de détresse, le consulat local de France intervient en notre faveur et parfois même la diplomatie ou l’armée. Nous avons le libre choix de nos modes de transports et nous confions la préparation de nos voyages à des prestataires connus, réglementés, qui ont des comptes à rendre. Même ceux des voyageurs protégés qui disent avoir tout abandonné pour partir ont gardé quelques arrières, ne serait-ce qu’une famille qui peut leur venir en aide.

Pour nous, quand nous évoquons la « liberté » de voyager, celle-ci consiste à nous libérer momentanément des contraintes pesantes de notre quotidien et à partir là où nous avons envie d’aller, de concrétiser notre soif d’aventure. Lorsque nous parlons de « fuite », nous fuyons un certain mal-être, en aspirant à changer d’environnement, à profiter de la vie,… Bien sûr certains de ces voyageurs protégés s’exposent à de grands dangers, par exemple, les journalistes correspondants de guerre, mais ils le font volontairement, librement et en toute connaissance de cause. Tous nous avons toujours la possibilité de rentrer à la maison, sans risque de nous faire assassiner ou torturer, ou bien de mourir de faim au retour. Quand nous sommes à l’étranger, on nous appelle voyageurs, globe-trotteurs, touristes, expatriés,… jamais immigrés. Nous sommes apporteurs de devises !

Voyageurs persécutés

La seconde catégorie, celle des voyageurs persécutés, correspond aux voyageurs illégaux, hors la loi partout où ils passent, porteurs de pièces d’identité sans valeur, donc menacés, exposés, surexposés même, stigmatisés, pourchassés, ne pouvant compter que sur leurs propres forces, la pitié ou l’apitoiement des gens qu’ils rencontrent. Quand ils réussissent à se construire un pauvre abri temporaire, on vient le leur détruire.  Leur exposition à l’injustice et à l’arbitraire sont involontaires. Réduits à la mendicité, sans droit au travail ni aux soins, ils sont entre les mains de « prestataires » incontrôlés, voleurs, assassins, les « passeurs » anonymes, profiteurs isolés ou manipulés par des mafias ou des Etats scélérats. Ces passeurs les rackettent quand ils ne provoquent pas la mort de leurs protégés dans des bateaux ou des camions.

Ces voyageurs contraints ont tout abandonné, leurs familles et leurs quelques biens, leur culture, leurs amis,... Ils fuient leurs pays à cause de la guerre comme les Irakiens, les Syriens ou les Afghans. Ils fuient aussi les massacres, comme il y a quelques années les Rwandais ou les Cambodgiens. Ils fuient encore les persécutions politiques comme les Russes qui fuyaient le goulag. Surtout, ils fuient, la misère, la pauvreté, les maladies et la faim qui déciment leurs familles, leurs enfants et leurs proches comme beaucoup d’Africains, de Latino-américains ou de roms. Pour eux le mot « liberté » est question de vie ou de mort. Ils sont dépossédés et n’ont donc plus rien à perdre. Les Etats dont sont issus tous ces voyageurs harcelés, sont en décomposition, impuissants, mafieux ou indifférents à leur sort. Ils partent donc en exode sans aucune protection, fuyant des vallées de larmes. Un peu comme certains des parents de français l’ont fait en 1940, des espagnols, quelques années plus tôt ou des pieds noirs, quelques années plus tard, ou encore avant ou après, des arméniens, des juifs, des africains, des arabes ou des asiatiques,... Aurions-nous été impitoyables vis-à-vis de nos parents et les aurions-nous chassés ?

Des migrations irrépressibles

Vous l’avez compris, ces voyageurs harcelés sont ceux qui ont envahi nos écrans ces derniers mois et ces dernières années. Ce sont eux qui tentent de franchir des frontières passoires, pourtant de plus en plus « bunkerisées » mais toujours perméables, entre les Etats-Unis et le Mexique par exemple. En Europe ils tentent d’entrer par Ceuta, Melilla, par la Turquie, par les mers, via les îles grecques, espagnoles (Canaries), italiennes (Lampedusa, Sicile), Malte,… Des milliers d’entre eux se noient et nous voyons leurs cadavres flotter aux portes de nos territoires. Beaucoup réussissent à passer entre les mailles du filet et créent des bouchons à certaines frontières internes de l’Union Européenne comme à Calais entre la France et la Grande-Bretagne ou à la gare Budapest, porte de l’Autriche ou de l’Allemagne. Quand ils arrivent dans nos pays nous les appelons migrants, étrangers, réfugiés… jamais voyageurs. Ils sont apporteurs de problèmes.

« La jolie carte postale estivale fut brouillée par des gens venus s’inscrire dans le paysage », observe avec pertinence Laurence Rousseau, directrice de la rédaction d’un grand magazine professionnel du tourisme, l’Echo Touristique. En effet, même pour les touristes, il est difficile de rester indifférents et de fermer les yeux sur ces vagues de voyageurs immigrants que nous croisons et qui meurent sur nos plages, face aux transats et aux parasols. Surtout quand surviennent les images « insoutenables » (terme unanime de tous les politiques) du cadavre d’un petit garçon échoué sur une plage de station balnéaire ! Il est un peu notre enfant à tous ! Comme tout le monde ces images m’ont bouleversée, moi qui ai été immigrée avant de devenir voyageuse.

Quelques rares personnes avaient mis en garde l’opinion. Par exemple, Fatou Diome femme de lettres sénégalaise  (auteure, entre autres du « Ventre de l’Atlantique », de « Celles qui attendent »). Lors de l’émission « Ce soir ou jamais » du 24 avril 2015 elle avait laissé coi un jeune champion de la nouvelle droite européenne, Thierry Baudet, en disant : «L’Europe ne sera plus jamais épargnée ni opulente tant qu’il y a des conflits ailleurs dans le monde ». Puis elle avait lancé une formule, « on sera riches ensemble ou on va se noyer tous ensemble ! » qui avait entraîné un buzz impressionnant sur les réseaux sociaux.

Réfléchir aux réponses à apporter

La réponse à ces drames se trouve bien sûr dans la solidarité et la fraternité immédiates comme le soutien à des actions humanitaires et l’engagement associatif ou encore la participation, pour ceux qui le peuvent, au mouvement Calm lancé par l’association Singa (partager son logement avec des immigrés). Mais la charité est le plus facile des bons sentiments. La réponse va plus loin, par exemple en prônant une consommation responsable : privilégier l’achat de produits un peu plus chers qui favorisent le développement de communautés qui n’auront pas ainsi besoin d’émigrer. « La France doit prendre sa part de la misère du monde » avait dit Michel Rocard dont beaucoup n’ont volontairement retenu que le début (bien pratique) de sa phrase : « La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde ».

Faut-il aussi arrêter de voyager et rester chez soi ? Une immobilisation de tous les voyages et transports ne résoudrait rien. En revanche, nos voyages peuvent devenir plus solidaires et porteurs de témoignages. Comment ? En voyageant dans un esprit de rencontre et de découverte plutôt qu’en nous contentant de transporter notre cocon de confort habituel à l’étranger. Même en profitant d’un voyage, il est possible d’ouvrir nos yeux, de parler, de connaître et de comprendre les pays que nous visitons, de faire tomber nos préjugés et ensuite de témoigner. Puis d’agir au retour, dans un esprit colibri. Et de militer pour que nos Etats cessent de harceler des persécutés, respectent les droits humains les plus basiques, pour qu’ils engagent des relations économiques internationales moins injustes et pour que notre pays arrête de soutenir des dictateurs qui appauvrissent leur pays. Car paix et justice restent indissociables. Notre site bestglobe.fr agit pour « ne pas voyager idiots » et est ouvert au débat et à la recherche d’exemples permettant de voyager autrement.

Car nos politiques, souvent procrastinateurs frileux, ne se préoccupent que du court terme et de la pression de leur opinion qui les fait reculer au jour le jour. Les chauffeurs de taxis et les paysans français l’ont bien compris. Les tergiversations des dirigeants, leurs remèdes sont des cautères sur une jambe de bois. Ils ne s’attaquent pas aux causes des problèmes, en particulier des migrations, ils ne font que retarder et reporter les problèmes et ne savent parler que de quotas. Ils ont besoin d’être interpellés pour agir autrement, devenir plus lucides et courageux et moins crispés sur les seules échéances électorales. En France, la gauche qui dirige, tétanisée par le discours d’extrême droite, restera-t-elle moins généreuse et humaine que des pays dirigés par la droite ?  Il y a certainement bien des manières de ne pas laisser les images intolérables de l’été dernier et l’émotion s’évaporer de nos consciences et de nos quotidiens. Vous-mêmes, dites-nous comment vous agissez et réagissez ? 

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