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"Le livre des fuites" de J.M.G. Le Clézio

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"Le livre des fuites" de J.M.G.Le Clézio

Qui fuis-je ?  C’est la question que ce livre pose aux voyageurs. A condition d’arriver à le lire. En ce qui me concerne j’ai eu du mal à embarquer dans sa lecture, tellement ses suites de mots désarticulés me semblaient par moments indéchiffrables. L’auteur d’ailleurs emploie lui-même l’expression de « bouillie de langage ». Plusieurs fois, de rage, j’ai faillé quitter le navire et jeter le livre par-dessus bord tellement il m’exaspérait. Puis d’un seul coup, comme une pause dans son tohu-bohu verbal, survenaient des passages lumineux, chargés de perles de mots (comme ce grand écrivain nous en livre souvent) que j’avalais d’une traite. Alors, au lieu de résister, je me suis accroché au bastingage et laissé porter par lui comme par une houle.

Bref, ce Nobel de littérature, navigue, au gré des chapitres, entre la poésie pure, entre des narrations hyperréalistes ou surréalistes et des tempêtes de syllabes qui s’entrechoquent, entre génie et schizophrénie. Peut-être est-ce un de ses livres les plus sincères et profonds, sans doute un des plus abscons, à ne pas mettre entre toutes les mains, mais certainement à offrir aux globe-trotteurs qui s’interrogent. Son héros, Hogan toujours sur la route parcourt un monde sans sens. Il enchaîne des descriptions de lieux comme s’il y restait étranger, comme un entomologiste. Ses images sont entrecoupées de réflexions, de poèmes, de vagues de mots. Dans son patchwork de lieux, parfois beaux, souvent normaux, parfois très laids, c’est le désenchantement qui crée l’atmosphère. Le voyage n’est pas toujours un long fleuve tranquille.

Car J.M.G Le Clézio, dont j’avais découvert la maison de son enfance à Maurice, fuit dans cet ouvrage sa propre écriture, se révolte contre les conventions, les vanités et entre en dérision contre toute chose. Il effectue une sorte de voyage en autocritique, incessant et déstructurant, comme s’il voulait sortir de son corps et de sa pensée même. Ce qui paraît une fuite vaine et qui tourne en rond : "ce que je perds, malheur, je le trouve", avoue-t-il. Il se flagelle dans ses nombreux chapitres d’ "autocritique" jusqu’à une "critique de l’autocritique" où il écrit : "et puis, que dire de l’écrivain qui ment en écrivant qu’il ment ?"

Son livre et son héros-voyageur fuient. Mais que fuient-ils ? Je cite Le Clézio : "Fuir toujours fuir (…) Quitter pour quoi pour qui ? (...) Les chaines sont partout ( …). Fuir la fuite même sans nier jusqu’à l’ultime plaisir de la négation".  Son héros, assis sur le siège en moleskine d’un autocar, regarde, hébété, défiler le monde qui s’offre à lui, les yeux blasés d’incompréhension devant les absurdités du bitume, du béton et des néons. Dans son délire onirique ou pathologique de mal aimé, Le Clézio se demande : "La littérature en fin de compte, ça doit être quelque chose comme l’ultime possibilité de jeu offert, la dernière chance de fuite".  

Finalement en allant jusqu’au bout de ce livre et de ses interrogations torturées, je me suis demandé si le voyage n’était pas, en définitive, comme la littérature, "la dernière chance de fuite". Et surtout quand voyage et littérature sont associés, par exemple lorsqu’un voyageur raconte ses voyages sur un blog ? "Le livre des fuites" m’a aussi fait penser à trois films de voyages : "wild", "into the wild" et "the way" qui racontent autant de voyageurs en fuite. Est-ce qu’en voyageant on ne fuit pas son travail, ses conditions de vie, ses proches,… ? J’invite tous les grands voyageurs qui vogueront sur cet ouvrage tempétueux à se poser ces questions : "qui suis-je ?" et "qui fuis-je ?".

Editions Gallimard, l’imaginaire, 1969 

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