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Ma nuit dans un palace de Penang en Malaisie

Asie Malaisie Penang Georgetown Eastern & Oriental Hotel palace hôtellerie L'une des entrées du palace de Georgetown dans l'île de Penang en Malaisie

Nuit de rêve. Je suis plutôt familière des hôtels cheap, des pensions de famille modestes, du logement chez l’habitant, du B&B, voire du bivouac, et maintenant du couchsurfing. Mais à Georgetown dans l’île de Penang  en Malaisie, j’ai vécu une expérience à laquelle je ne m’attendais pas. Je venais de passer une semaine horrible dans un hôtel minable. La seule petite ouverture de ma chambre donnait sur une cour de mosquée où une partie de la nuit (c’était le Ramadan) un haut-parleur trop puissant déversait des décibels de sourates. Or un problème billet d’avion m’obligeait à rester une nuit de plus à Penang. Problème, tous les établissements du centre-ville affichaient complet…. Sauf l’Eastern Oriental Hotel sur lequel je dénichai un prix super cassé sur un comparateur de prix.

Soyons fous, me dis-je ! Je n’aurais jamais imaginé dormir dans un palace historique aussi huppé. Attis&ée par la curiosité, je sautai donc à pieds joints sur cette occasion extravagante de faire une découverte. Je venais de lire "l’antivoyage" de l’écrivaine française Muriel Cerf relatant son périple en Asie du Sud Est. Elle avait fréquenté des palaces à Bombay et Calcutta mais avait atterri dans un bouiboui glauque sur une plage de l’île de Penang. Moi j’ai fait l’inverse : j’ai d’abord fréquenté les bas-fonds de Penang avant d’entrer dans un des saint des saints de la grande hôtellerie mondiale. 

Car l’Eastern Oriental  est un monument de l’hôtellerie internationale. En entrant dans ce bâtiment massif qu’on croirait sorti de Manhattan, j’ai été impressionnée par ses volumes, par le côté cossu de son lobby et par une déco opulente un brin pompeuse. Un luxe grandiose et inouï, mais tout en retenue, sans doute par éducation et correction … très aristocratie british. En attendant la disponibilité de ma chambre, on m’oriente dans une sorte de vaste salon de thé ("Planters lounge") où tout m’est offert à volonté. J’engloutis donc un high tea et ses étages de scones et de finger sandwiches. Sur le plancher de bois sombre un ballet continu de serveurs sert et dessert.

Lorsqu’un groom m’accompagne à ma chambre, à peu près de la superficie de mon appartement parisien, je suis attirée par le grand balcon face à la mer, avec vue sur le détroit de Malacca. En me penchant sur la gauche j’aperçois la skyline des tours du Georgetown contemporain et sur la droite les "jetty" traditionnelles du port de pêche couvertes de maisons de bois. Je m’engonce dans le fauteuil en rotin à rêver de ce que furent, Penang comme Malacca et Singapour, ces "straits settlements" (comptoirs des détroits)  de la couronne anglaise qui verrouillaient le passage maritime vers l’Extrême Orient. Cette nuit-là  mes rêves profonds m’emportent dans un grand voyage dans l’espace et le temps et me font croiser ceux qui ont fréquenté cet hôtel comme Douglas Faibanks ou Rudyard Kipling.

Car avant d’être embarqué dans ce profond sommeil onirique, j’avais exploré les couloirs de cet immense vaisseau fantôme, marqué dans tous ses recoins du logo très exclusif  "E&O". Des employés en costume noir et nœud papillon, au sourire obséquieux, vont, viennent et virevoltent en glissant sur des carrelages aux immenses damiers noir et blanc. Dans un recoin de ce jeu de go géant, je tombe sur les portraits inattendus de trois imposantes moustaches en guidon de vélo très XIXème, pas du tout aux yeux bridés. Renseignement pris, il s’agit des trois frères arméniens, les Sarkies (Arshak, Tigran et Martin) réfugiés dans cette commissure du monde et qui ont fondé ce palace fabuleux du temps de la reine Victoria, après l'ouverture du canal de Suez . Un coup d’essai puisqu’ils ont ont ensuite créé dans la région des hôtels encore plus mythiques, le Raffles à Singapour, puis le Strand à Rangoon.

Naturellement, le restaurant de l’Eastern Oriental s’appelle "Sarkies".  Je ne suis pas sûre que les riches et cultivés anglais et les chinois très "business executive" qui le fréquentent sachent de qui il s’agit. J’ai côtoyé ces privilégiés, portés par les vagues frénétiques du breakfast, quand tout ce beau monde affamé déboule sur les alignements de buffets rutilants et gargantuesques. Des armées de cuisiniers coiffés de toques rococo satisfont leurs exigences de  grillades et plats composés, découpent des tranches de canard laqué et ajustent la cuisson des scrambled, poached, soft-boiled ou sunny-side up eggs… Je n’ai pas honte de dire que je me suis empiffrée.

Pour terminer, je ne résiste pas au plaisir de citer Muriel Cerf dont je parlais plus haut : "Tous les voyageurs ou presque, écrit-elle, sont attirés, horrifiés, séduits et repoussés à la fois par ces oasis grandioses du tourisme international, symbole de la puante civilisation, blocs de béton symboliques semés sur les plus belles routes du monde, dans les endroits les plus magiques et les plus crasseux." Je trouve son jugement vrai mais abrupt et implacable. Comme moi elle a profité de temps à autre de ces oasis-étapes d’une civilisation dont nous sommes issus et où tout est féérie, comédie, fantasmagorie. 

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