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Jean Inglese : " Je ne suis pas né quelque part "

Certes il est né à Aïn Beïda en Algérie en 1950 mais cet ingénieur en gestion de risque dans une grande compagnie internationale d’assurances se sent d'abord "pleinement de ce monde". Car son histoire, sa famille et sa vie sont imprégnées de voyages. 

Jean Inglese

Est-ce que votre famille vous a transmis un gène du voyage ?

Les ancêtres de mes parents, qui sont nés en Algérie, avaient forcément bougé. Je suis issu d’un mélange de personnes venues de différents horizons. Elles avaient sans doute fui pour échapper à la pauvreté. Je pense que mon grand-père paternel parti de Sicile (où « inglese » veut dire « anglais ») vers la Tunisie fuyait la mafia. Les origines de la famille de ma mère sont à rechercher à la fois dans le duché de Bade, à Malte et en Bretagne. Mon père qui travaillait à la Poste était toujours en pérégrination, habitué à toujours partir, changer et s’éloigner de ses proches. Pendant la dernière guerre il a participé aux campagnes d’Afrique puis d’Italie, puis en Allemagne. Quand j’étais enfant, nous participions avec mon oncle, le frère de mon père, à des parties de chasse qui nous faisaient partir en grandes randonnées de découverte de la nature.

Qu’est-ce que vous avez retiré de positif de cette mobilité familiale ?

Un effet de résilience s’est imprimé en moi et j’en ai gardé un esprit caméléon. Je m’adapte là où je suis. Je n’ai pas de problème pour partir, même lorsque  j’ai des appréhensions. Partout il y a toujours quelqu’un à rencontrer, quelque chose à prendre ou apprendre. Je me fais très facilement des amis et je cherche toujours à m’intégrer. Rencontrer des gens différents oblige à se réhabituer sans cesse, c’est une remise en cause qui m’aide en toutes circonstances. J’aime goûter aux plats de chaque pays et quand je séjourne un peu plus longtemps, j’apprends les langues. Ainsi je me suis lancé dans l’apprentissage du russe en Union soviétique, de l’arabe au Maroc, de l’occitan, du portugais au Brésil.

Quand avez-vous personnellement commencé à voyager ?

Ma famille est partie d’Algérie quand j’avais 11 ans. Ce voyage en avion n’avait pas été dramatique pour moi puisque j’avais été bien accueilli à Arles chez une tante et une grand-mère. Avec des amis étudiants, je rêvais de faire un tour de la Méditerranée. Nous n’avons pas pu le faire, mais chaque année je partais randonner à travers la France. Puis je suis parti en coopération au Maroc comme prof de maths. Avec Sabine, mon épouse, nous avons beaucoup voyagé dans l’Atlas. Le pays était très différent de l’Algérie et l’accueil des marocains fabuleux. Un exemple : nous avons été invités spontanément et à l’improviste dans un mariage croisé par hasard parce que nous demandions à prendre des photos. Quand on peut entrer en relation avec les gens on apprend. Ce séjour m’a aidé à garder l’esprit ouvert transmis par mon éducation : jamais mon père n’a dit le moindre mal des arabes, même après son départ d’Algérie ; il a d’ailleurs combattu à leurs côtés pendant la guerre de 39-45.

Vous avez aussi multiplié les voyages professionnels ?

Mon premier voyage professionnel d’ingénieur a été à Thionville ! Mais très vite on m’a envoyé avec ma famille en Russie pour monter et démarrer une usine dans la banlieue de Volgograd (ex Stalingrad) sous le communisme, au tout début de la perestroïka. L’impression de décalage m’a frappé. Cette expatriation de 18 mois nous a obligés à une grande adaptation à cause du froid, du contrôle politique (nous étions dans un ghetto pour français), des différences culturelles dans les relations de travail (la ville était composée de gens venus de toute la Russie). Confrontés à nos limites, nous y avons appris beaucoup de choses sur nous-mêmes. Nous avons réussi à établir certains contacts chaleureux.

Après mon retour, j’ai multiplié les voyages professionnels car l’entreprise où je travaille est vraiment internationale, en contact permanent avec des gens de tous les pays, et la langue de travail est l’anglais, dès que l’on quitte la France. Ces voyages courts se font souvent dans des conditions privilégiées de transport, d’accueil par la filiale locale et d’hébergement. Pendant des années j’ai pris l’avion 2 à 3 fois par mois pour visiter des entreprises clientes et des usines. Je suis allé très souvent au Brésil, j’ai visité les Etats-Unis, le Canada, la Thaïlande, le Japon, la Chine et beaucoup de pays d’Europe, réussissant parfois à m’échapper du travail pendant les week-ends. Ces immersions culturelles variées m’ont appris une façon d’être avec des gens très différents, à faire attention aux détails de mon comportement, par exemple donner une carte de visite à deux mains ou comprendre l’importance de la hiérarchie en Asie.

Les voyages professionnels ne vous ont pas empêché de continuer les voyages familiaux ?

Oui, nous avons fait de nombreux voyages tous les ans en France ou à l’étranger avec les enfants, parfois avec un groupe d’amis : le tour de l’Oisans, tour du Queyras, les chemins de Saint Jacques, la Corse, l’Irlande, la Grèce, le Portugal, l’Islande,… Nous avons aussi fait un pèlerinage en Israël pour voir les lieux que nous fréquentons au quotidien en lisant la Bible en même temps qu’accomplir un voyage intérieur. En plein désert marocain nous avons fait en couple une marche qui nous a épurés : en apparence, il n’y a rien mais la vie est là, sans superflu, des gens y vivent.

Y a-t-il encore des voyages que vous ayez envie de faire ?

Je reste toujours content de partir et je ne suis pas blasé par les voyages. Je ne connais ni l’Afrique noire, ni l’Inde qui m’attirent même si je ressens une petite appréhension à y aller. Je veux aussi découvrir les pays de mes ancêtres comme Malte et la Sicile.

Au fond qu’est-ce que vous ont appris les voyages ?

Chaque voyage s’ajoute, est différent et m’enrichit de quelque chose de nouveau. Je ne sais pas si j’étais appelé à voyager, si j’étais un voyageur né, mais mon histoire a voulu que j’aie cette chance de beaucoup voyager, en particulier avec ma femme Sabine que je remercie d’avoir accepté de me suivre pour les longs séjours au Maroc d’abord et ensuite avec les enfants en Russie. Ces voyages m’ont ouvert l’esprit, appris à apprécier des gens qui vivent autrement, avec d’autres valeurs. Ils m’aident à comprendre que je me sens pleinement de ce monde, de cette terre, si diverse, et que, en quelque sorte, je ne suis pas né quelque part. Je relie cette réflexion à une situation ubuesque qui est arrivée à mon père pendant la dernière guerre mondiale : pendant qu’il combattait en Italie contre l’armée italienne, son père, parce qu’il était d’origine italienne, a été mis en prison en Algérie. C’est une histoire qui m’a beaucoup fait réfléchir.

Et puis les voyages me font aussi apprécier de revenir chez moi, comme le dit le poète Joachim du Bellay :

« Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme cestuy-là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d'usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge !
 ».

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