La statue de la liberté côté est. Il y a des peuples pour qui le mot liberté a un sens fort. J’ai compris au pied de cette statue que le peuple letton faisait partie de ceux-là. La Lettonie, un des trois petits pays baltes, coincé entre l’Estonie et la Lituanie, a vécu la plupart de son histoire sous la domination de grandes puissances : Prusse, Pologne, Suède, Allemagne, Russie. Sa première période d’indépendance (1918-1940) avait été courte et stoppée par la première guerre mondiale. La Lettonie n’a retrouvé son indépendance qu’à l’effondrement du bloc soviétique en 1991.
Cette statue impressionnante qui culmine à 42 mètres de haut, perchée au sommet d’une colonne en plein centre de Riga la capitale, a donc une valeur hautement symbolique. Elle avait été édifiée en 1935 au milieu de la courte période d’indépendance chèrement gagnée contre les allemands et les russes. Le sculpteur local qui l’avait réalisée avait appelé son projet "brille comme une étoile". En réalité elle lève au bout de ses bras trois étoiles correspondant aux trois régions du pays. Les lettons l’appellent familièrement "Mildar", un nom de jeune fille très répandue dans le pays et qui en fait l’équivalent de notre Marianne.
Pendant les années d’occupation soviétique, il avait été question de la détruire car les communistes russes avaient senti la force symbolique de cette égérie nationale. Sa tête n’avait été sauvée, m’a-t-on dit, que grâce à l’intervention d’une artiste lettonne bien en cour à Moscou. Mais les autorités avaient interdit de se rassembler ou de déposer des fleurs devant Mildar. Malgré cet interdit, la foule s’y réunit en juin 1987et lança le mouvement qui conduisit à l’indépendance nationale.
Aujourd’hui le grand voisin russe effraie toujours les trois minuscules pays baltes. Mais Mildar veille, dressée comme phare au milieu d’un vaste espace piéton du "boulevard de la liberté", près du cœur ancien de la ville de Riga et de son Opéra national. Cette statue de la liberté de l’est m’a beaucoup plus impressionné que celle de Bartholdi dressée à l’entrée du port de New York, ou que ses répliques à Paris ou Tokyo. A la base de celle de Riga, un artiste letton a gravé dans le marbre : "Tevzemei un Brivibai" ("Pour la patrie et la liberté").