Un autre voyage. En ouvrant par curiosité ce bouquin, j’étais persuadé me situer dans la catégorie des "voyageurs non-autistes". En refermant ce livre brillant, je me demande si je ne suis pas un peu voyageur autiste, tellement je me suis senti en phase avec beaucoup des idées de son auteur (1). Et j’en suis fier. Car Josef Schovanec ouvre d’autres manières de voyager, de penser, de regarder, d’analyser. Il renverse les situations et cherche la différence dans une société qui crée l’uniformité. Il dispose d’un avantage qu’ont, selon lui, les handicapés, "une tentation du confort moins forte". Son livre est vraiment à mettre entre toutes les mains de voyageurs, du moins dans les mains de ceux qui ne sont pas attirés par le seul clinquant et la richesse. En effet, Josef est agacé par le tourisme de masse et le "voyage de pacotille". Il aime le voyage économique qui lui permet de dépenser moins que s’il restait en France.
J’ai l’impression qu’il connaît le monde entier tellement il a d’anecdotes à raconter dans tellement de pays. Ce brillant polyglotte jongle avec beaucoup de langues. Ce qui lui permet de gratter le vernis et de percevoir beaucoup de choses que des non autistes non polyglottes ne peuvent pas sentir. Il n’hésite pas à s’aventurer dans des régions improbables, qui feraient frémir ceux qui consultent les zones rouges et orangées du site "conseils aux voyageurs" du Quai d’Orsay. Il n’en fait qu’à sa tête, sans contraintes de lieux ni de temps. Son chapitre sur la sécurité est éloquent, drôle, bourré d’histoires vécues. Il affiche ses coups de cœur pour les déserts ou pour des villes peu connues de voyageurs lambda comme Téhéran ou Taipeh. Il se montre d’ailleurs particulièrement fasciné par l’Iran, le Moyen-Orient ou l’Asie Centrale. Mais pas seulement.
Son livre nous offre une galerie de portraits de "routards éternels" rencontrés sur le chemin, plus ou moins autistes comme lui et "dont l’intelligence hors normes finit par surnager des flots hostiles". Il loge souvent chez l’habitant, cherche à rencontrer les "vrais gens" et veut aller "au plus près du cœur". Sa philosophie personnelle intègre cette formule : "pour vivre heureux, vivons éloignés des centres de pouvoir". Il explique aussi "profiter de ses trajets pour faire évoluer sa nature intérieure". Contrairement à beaucoup de livres de voyages, purement descriptifs, superficiels, ennuyeux et décevants, ce philosophe du voyage pousse très loin ses réflexions et s’amuse beaucoup : "les gens non autistes sont décidément bien bizarres", dit-il apportant tout de suite des exemples savoureux pour illustrer son affirmation. Exemple, les critères d’évaluation "ridicules et mesquins" des hôtels par des non-autistes.
Protégé par l’image d’autiste que la société donne de lui, Josef n’a absolument aucun complexe pour exprimer ses fantaisies : il peut par exemple se composer volontairement des "trajets bizarres" ou visiter des aéroports simplement à cause de la sonorité de leur nom. Des excentricités qu’on ne trouverait dans aucun livre de voyage qui se respecte. Josef avoue être plutôt "fier d’être bouffon". Quand il livre sa passion secrète pour les passeports au cours d’une conversation avec un américain, il s’esclaffe : "sans doute ce soir-là ma réputation de cinglé se trouva consolidée". Au fond ce dont je suis fan chez Josef c’est sa liberté d’être, de voyager, de penser et d’écrire. Par exemple quand il raconte comment il a été accueilli dans des villages entre Iran et Pakistan, il s sent libre d'écrire : "il se pourrait que moi, l’infidèle, le voyageur égaré géographiquement et psychiatriquement, j’aie été mieux accueilli en zone dite terroriste que nulle part ailleurs". Un regard renversant dans le contexte mondial actuel !
"Eloge du voyage à l’usage des autistes et de ceux qui ne le sont pas assez" de Josef Schovanec. Ed. Plon 2014, Pocket
(1) Selon sa présentation : "Josef Schovanec est atteint d’autisme, rescapé de la camisole chimique et des hôpitaux psychiatriques (…) Docteur en philosophie et chercheur à l’université de Bucarest, amateur de langues et cultures de l’Orient ancien (…)".
Pour se procurer le livre : Eloge du voyage à l'usage des autistes et de ceux qui ne le sont pas assez
