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"Petit pays" de Gaël Faye

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livre évrivain auteur voyage Rwanda Burundi littérature révélation "Petit pays" de Gaël Faye, Goncourt des lycéens 2010

Retour dans l’abîme. Au départ, l’abîme n’a pas l’air d’un abîme. Gaby raconte son enfance joyeuse et facétieuse à Bujumbura au Burundi, avec sa petite sœur et sa bande de copains, métis comme lui pour la plupart. C’est l’insouciance tranquille de potes qui délirent dans leur planque du terrain vague de l’impasse.  En réalité, c’était "au temps d’avant". A ce moment-là "c’était le bonheur, la vie sans se l’expliquer".  Comme tous les lecteurs, je suis entré dans cette belle insouciance.

Hélas quelques anomalies se glissent déjà dans ce décor riant. La première est celle des tensions entre ses parents. Son livre est hommage émouvant à ses parents avec, toujours en filigrane, le "bon espoir qu’ils fassent la paix". Son regard  candide est en même temps lucide : son père, dit-il, est venu chercher en Afrique "un terrain de jeu pour prolonger ses rêves d’enfants gâté d’Occident" et sa mère cherche "la sécurité qu’elle n’a jamais eue".  

Puis, les drames qu’on subodore, resserrent leurs mailles au fil des pages. La politique s’invite dans ce microcosme fragile et ouvre des fractures, le racisme se découvre, la violence inouïe d’un enfant jaloux lui laisse "un goût du sang dans la bouche". Surtout un génocide enflamme le Rwanda voisin, le pays de sa mère,... Insensiblement, il commence à avoir peur. Il a raison, car son histoire glisse vers l’innommable, "quand la mort n’est plus une chose lointaine et abstraite". Il arrive pourtant à exprimer le pire avec une douloureuse pudeur. Son livre est une descente aux enfers de "lave venimeuse", même si son intention est de "solder une bonne fois pour toutes, cette histoire" qui le hante.

Ses brefs chapitres happent le lecteur comme des diapositives, ou plutôt comme des courtes vidéos, style YouTube, qui entraînent dans un glissement progressif vers l’effroi. Comme tous les lecteurs j’ai été agrippé par l’engrenage. De paragraphe en paragraphe on vit et on avance avec des personnages, des saynètes drôles ou tragiques,  des comédies de rue, on entend des dialogues rapides et précis. Les petites phrases de Gaël égrènent des couleurs, des odeurs, des musiques, des sons, qui plantent vite des décors pointillistes. Econome dans ses mots, comme le slameur qu’il est aussi, il livre des formules justes et ramassées.

Par exemple, dans les conversations de "cabaret" burundais, il dit : "les soûlards causent, s’écoutent, décapsulent des bières et des pensées". Ou bien au cours d’une ripaille de viande de crocodile qui coïncide avec son anniversaire, il fait vivre avec talent "l’électricité qui flottait dans l’atmosphère",…  Ses portraits sont rapidement crayonnés. Ceux d’Alphonse, Pacifique ou Rosalie sont tendres. Ceux de ses copains Gino, Armand ou des jumeaux sont bouffons. Celui du vieux néo-colon Jacques est cruel de réalisme.  

Dans ce roman inspiré de son enfance, l’auteur se nomme lui-même soit Gaby, soit Gabriel, soit Gaël et je me demande si cette même personne aux trois "G" n’a pas trois personnalités, celle de l’enfant heureux et insouciant, celle de l’ado plongé malgré lui dans les abominations, celle de l’écrivain déjà reconnu. A la fin du livre dans une "lettre à Laure" je lui trouve même des accents rimbaldiens. "On ne doit pas douter de la beauté des choses, même sous un ciel tortionnaire", met-il dans la bouche de l’un de ses personnages. Ce voyage que "G" effectue au Burundi dans son histoire et au fond de sa mémoire est une révélation de 2016, qu’il faut absolument lire. Elle vous bouleversera, comme moi-même et tous ses lecteurs.

"Petit pays" de Gabriel Faye, éditions Grasset 2016. Prix du roman Fnac 2016, Prix du premier roman français 2016, Roman des étudiants France Culture-Télérama 2016, Goncourt des lycéens 2016. 

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