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Olivier Noyer : " Voyager c'est quitter ses habitudes "

Olivier Noyer

Il a pratiqué toutes sortes de voyages : sac au dos ou professionnels, solitaires, partagés en couple, en famille ou entre amis, mais aussi voyages immobiles et voyages intérieurs : ce journaliste baroudeur livre sa vision des voyages.

Olivier Noyer
Combien avez-vous visité de pays ?
Je suis allé dans plus d’une centaine de pays. Mais je n'aurais pas la prétention de dire que je les ai visités. Car pour moi ce chiffre ne signifie pas grand-chose. On peut avoir mis les pieds dans un pays sans en avoir rien vu, sauf une salle de réunion, un club de vacances ou s’être contenté d’un bref « sight seeing tour » de la capitale. On peut être entré des dizaines de fois dans un grand pays et n’en connaître qu’un petit bout, et rien de l’humain. Je suis allé dans près de dix Etats américains ; il y en a une cinquantaine. 

De l’Inde, la Chine ou la Russie (où pourtant j’ai vu Saint Petersbourg et Moscou), je ne connais qu’une petite frange. Par ailleurs, il existe des destinations qui sont plus importantes que certains pays, par exemple certains départements et territoires d’outre-mer français, anglais ou autres. Ainsi, la Guyane française, qui n’est pas un pays mais un département français, s’étend sur plus de 80 000 km². A comparer avec des petits pays souverains comme Nauru dans le Pacifique (21 km²), Monaco (2 km²) ou le Vatican (0,4 km²). D’ailleurs le simple fait de parler de « pays » focalise sur des « frontières » qui sont des limites politiques et administratives. Il y a parfois plus de différences entre les villes d’un même pays (par exemple Abidjan et Korhogo en Côte d’Ivoire ou Saint Petersbourg et Vladivostok en Russie), qu’entre des villes de pays différents (Paris, Bruxelles et Genève par exemple). Pourtant certains voyageurs persistent dans une course fébrile au chiffre : « faire » des pays, cumuler le plus de pays visités possibles et de visas dans leur passeport. C’est trop superficiel, artificiel et pressé. 

Cette frénésie de voyages peut refléter une quête de liberté… ou une fuite des réalités. Même si notre civilisation s’y prête de moins en moins, j’essaie de me libérer quand je peux du fast travel et de la course aux clichés pour retrouver un goût pour la lenteur, le slow travel, le temps de la rencontre. 

Qu’est-ce qu’un voyage pour vous ? -
Voyager c’est quitter ses habitudes, son chez soi, ses certitudes, la régularité et la répétition. C’est donc, de facto, une ouverture obligée, un entrainement à la découverte, à la curiosité, aux autres, à la différence, à l’aventure, l’inattendu, l’imprévu, la nouveauté, à l’éveil, au nomadisme, au réapprentissage,… Déjà très prosaïquement lors de chaque départ pour une destination lointaine les rythmes sont cassés. Par exemple lorsqu’il faut se réveiller à 4 h du matin ou voyager de nuit. Puis s’enchaînent les repas sautés, le décalage horaire, la langue, les sons et odeurs nouveaux, le climat, les changements culturels,... Forcément un départ est un stress, une appréhension à surpasser,… Comme pour un acteur qui entre en scène. Mais cette sorte de griserie est en même temps une forme de plaisir qui ressemble à une drogue. Un voyage c’est toujours, quels que soient le nombre de kilomètres parcourus, plus ou moins un « voyage en terre inconnue » car la part d’incertain reste sous-jacente, même dans une destination archiconnue et revisitée. Un voyage est toujours nouveau. Deux voyages successifs au même endroit peuvent donner des impressions opposées : soit parce que la destination a changé, soit parce que on n’y voit pas les mêmes choses ni les mêmes personnes, soit parce que nous changeons ou que notre regard change. De très nombreuses fois je l’ai vérifié : à ma première visite j’ai détesté Majorque aux Baléares, à la deuxième j’ai adoré ; à mon premier voyage j’ai adoré l’Irlande, une dizaine d’années plus tard, j’ai été très déçu ; J’ai fait plus d’une quinzaine de voyages en Tunisie et à chaque fois j’y ai découvert ou redécouvert des lieux identiques ou différents, parfois avec plaisir, parfois avec déplaisir.
 
Comment classez-vous les voyages ?
Il est difficile de les classer. Du moins les catégories en sont-elles innombrables. Mes premiers voyages d’enfant ont été des rêves : devant une collection de timbres montrant des pays inconnus, en écoutant des musiques et des voix du monde entier qui s’échappaient du grésillement des ondes courtes du vieux poste radio familial, en écoutant à la table familiale les étonnants récits de missionnaires revenant de Chine, d’Inde ou d’Afrique,… Puis au sortir de l’adolescence, je me suis lancé seul dans des longs voyages de routard, sac au dos, sans aucune préparation ni moyens financiers, en improvisation totale au jour le jour. A une époque où il n’y avait ni téléphones portables, ni distributeurs de billets, ni assurance-assistance, ni à fortiori Internet, ma famille restait sans aucune nouvelle de moi pendant deux ou trois mois. Je suis parti de cette façon en Algérie et Tunisie, ou bien au Maroc, Canaries, Sénégal, Gambie et Guinée Bissau (sans avoir pris une seule fois l’avion), ou encore au Liban, Syrie, Jordanie, Chypre et Israël. Chaque jour il fallait résoudre un problème, souvent dormir dehors. J’en ai oublié les nombreuses galères pour n’en garder que les dépassements et les émerveillements. Je peux dire que ces voyages ont formé et forgé ma jeunesse.
 
Mais vous avez surtout fait des voyages professionnels ?
De fait, en tant que journaliste j’ai multiplié les déplacements professionnels, toujours trop rapides. Ces voyages étaient, il faut le dire, assez particuliers parce que souvent axés sur le tourisme, ma spécialité. Pendant des années, j’ai pris l’avion au minimum une à deux fois par mois. Parfois pour des allers retours ultra courts. Ainsi j’ai eu 48 heures pour découvrir Los Angeles. Idem pour Singapour. Ou bien, pour pouvoir faire un reportage sur les pilotes dans leur cabine en vol, j’ai pris le même avion à l’aller puis au retour de Martinique (entre les deux, l’équipage avait changé !). J’ai fait d’innombrables voyages de presse ou pour accompagner des agents de voyages en groupe. Les itinéraires étaient très minutés et chacun s’occupait du travail qu’il avait à faire. Parfois les destinations visitées étaient tellement magnifiques qu’elles sublimaient une organisation rigide et sous contrôle. Je me souviens de Petra en Jordanie, Bagan en Birmanie, de l’Okavango au Botswana, du parc d’Amboselli au pied du Kilimandjaro au Kenya, de Saint Petersbourg ou Kidji en Russie, Louxor et la vallée du Nil en Egypte, des Galapagos dans le Pacifique, de l’arrivée en bateau face à Ellis Island à New York, d’un village « long house » de coupeurs de tête tatoués des pieds à la tête au fin fond de la forêt de Bornéo,… Dans ces moments exceptionnels j’ai pris goût à la photo pour essayer de garder, puis de partager ces cadeaux que je recevais. Mais comme l’a écrit Saint Exupéry, « l’essentiel est invisible pour les yeux » et les souvenirs imprimés en moi restent beaucoup plus forts que les albums photos. J’ai aussi beaucoup aimé certains voyages professionnels, plus rares, où j’étais seul et autonome (avec une voiture de location et un programme souple à ma convenance) comme à Maurice, La Réunion, en Floride, Ecosse, Afrique du Sud, au Cap Vert, en Nouvelle Calédonie,… Je pouvais m’arrêter là où je voulais, quand je voulais et le temps que je voulais. Au fil du temps, petit à petit, ma bibliothèque intérieure d’autres mondes s’est ainsi enrichie tandis que mon regard et mes sens s’apuraient.
 
Mais vous n’avez pas fait que des voyages professionnels ?
Une autre catégorie de voyages importante est celle des voyages « partagés ». Parfois, j’en ai vécus avec de petits groupes de professionnels, plus ouverts et attentifs que la moyenne, où l’échange humain avait une place importante. Mais les voyages partagés sont surtout pour moi ceux du voyage entre proches, en famille, ou en couple, trop rares et trop précieux, où, par essence, l’émotion se partage, même en silence. Je me souviens ainsi d’un coucher de soleil grandiose à La Nouvelle, un village sans rues au fond du cirque de Mafate à La Réunion. Je me souviens aussi des éclats de rire et la joie lors de repas dans les familles africaines à Abidjan ou Bamako. J’ai en mémoire un hôtel magique, isolé sur les hautes falaises venteuses de l’île de Skye en Ecosse,… Plus étonnant au fond, certains voyages intenses peuvent être des voyages immobiles. On y entre alors par les livres, les musées, par le choix de certaines émissions de télévision, un certain usage des réseaux sociaux ou, mieux, via les rencontres humaines. J’avais rencontré il y a longtemps à Alep un vieil arménien qui connaissait bien mieux Paris que moi et que beaucoup de parisiens, sans être jamais sorti de Syrie. Le peintre Rembrandt qui n’avait jamais voyagé hors des Pays-Bas avait un cabinet de curiosités rassemblant des objets du monde entier qui ont nourri ses peintures. Et puis, il y a le voyage intérieur, encore plus lointain, car en rentrant en soi il n’y a aucune limite géographique à la découverte. C’est la part de souvenirs, de rêve, de désirs, de projets, d’imagination, d’introspection ou de prière. Beaucoup d’écrivains non voyageurs l’ont vécu. On peut l’expérimenter en dégustation dans une cave de vins, une collection d’épices, de thés ou de chocolats du monde, avec des accords de saveurs métisses,… qui embarquent outre mer. En composant une toile, les artistes créateurs le pratiquent au quotidien. Ainsi, le poète portugais Fernando Pessoa, n'a cessé de voyager en esprit dans ses oeuvres à tel point qu'on l'a décrit comme "le voyageur immobile". Autre exemple plus étonnant, Thérèse de Lisieux, morte à 23 ans, a été désignée par l’Eglise catholique comme « patronne des missions » - c’est-à-dire de ceux qui parcourent le monde- alors qu’elle était restée cloitrée dans un carmel. Les plus grands voyageurs ne sont pas toujours ceux que l’on croit.
 
Quel est le voyage idéal pour vous ?
C'est quand ont peut échapper à ce que l'écrivain Gilles Lapouge appelle les "voyages précipités". C’est quand un voyage géographique (prenant son temps) est partagé, devient rencontre et entre en résonnance avec un voyage intérieur, c’est-à-dire quand l’émotion des découvertes visuelles et humaines submerge le soi intérieur, ses certitudes et sa relation aux autres, quand un voyage façonne. Car la vie elle-même est un grand voyage. L’écrivain voyageur Nicolas Bouvier a noté : « on croit qu’on va faire un voyage, mais bientôt c’est le voyage qui vous fait, ou vous défait ».

propos recueillis par Aminata Noyer

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