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"Vents alizés, un voyage dans les Caraïbes" de P.-L. Fermor

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Caraïbes Antilles Vents d'alizés de Patrick Leigh Fermor

Baroudeur dans les Caraïbes. Cet écrivain tenait à la fois d’Indiana Jones, de James Bond et de Graham Greene, disait-on. Autrement dit, Patrick Leigh Fermor, était le mariage de la bourlingue, du casse-cou et de la plume. De fait, il participa à des opérations spéciales de l’armée britannique pendant la dernière guerre mondiale, dans les Balkans, la Grèce et la Crète où il réussit l’exploit d’enlever un général allemand,… avant de devenir scénariste à Hollywood et surtout un des plus célèbres écrivains-voyageurs britanniques.

J’avoue que j’ai eu un peu de mal à entrer dans son pavé de voyages de plus de 500 pages, "Vents d’alizés" qui navigue dans tous les sens. Il y tire des bords entre les petites et les grandes Caraïbes, entre les îles au vent et les îles sous le vent. Dans la période de l’après-guerre (les années 1950) pendant lesquelles il a écrit son livre, il traverse cet immense chapelet d’îles françaises, anglaises, bataves et espagnoles ou hispanisantes. P.L. Fermor se montre à l’aise dans toutes les langues et on perçoit la grande hétérogénéité de ces territoires forgés par autant d’histoires particulières qu’il y a d’îles.

Au gré des vents, des circonstances, de ses lectures et de ses humeurs, il donne un bref coup de projecteur sur telle ou telle scène qu’il croise, ou bien il s’embarque dans de longues descriptions  d’historien, de linguiste ou d’un anthropologue.  Son style est riche et coloré, parfois à la limite du pédantisme, son écriture est baroque, parfois jusqu’à la surcharge du rococo. Ce que j’ai regretté c’est une quasi absence de dialogues. Ses rencontres humaines restent furtives ou plutôt dans le mode descriptif, quasi entomologiste.

Mais de fil en aiguille, je me suis laissé emporter par la force de sa plume, par les traits acérés de son humour, ses brillantes envolées et ses formules enlevées. Il cherche vraiment à tout comprendre. Sa curiosité est passionnée et passionnante. Il peut s’arrêter pour décrire les détails des "madwas" (madras), ces foulards qui coiffent les Guadeloupéennes, les "steel band", ces curieux instruments de musique de Port of Spain à Trinidad ou encore la secte des pocomaniaques en Jamaïque. A chaque étape, il gratte et fouille le passé, par exemple en racontant le passé de l’ethnie des Caraïbes à la Dominique ou en se penchant sur les reliques de la "belle dame créole" que fut Joséphine de Beauharnais en Martinique ou encore en décrivant les lépreux de l’île de Chacachare. Pour ses apartés historiques ou linguistiques, il écume les bibliothèques et les auteurs anciens, comme le père Labat auquel il voue une grande admiration.

On baguenaude ainsi  avec lui d’île en île avec à chaque fois l’impression de mieux comprendre. Je trouve toutefois qu’il n’est pas tendre avec les terres françaises. Il décrit Pointe à Pitre et "ses  charmes fanés" comme "la pire des agglomérations de baraques" ou Marigot à Saint Martin comme une "bourgade misérable et nonchalante". Il est à peine plus indulgent pour Fort de France :  "malgré la crasse et le délabrement, la ville possède infiniment plus de grâce que Pointe à Pitre", concède-t-il. Merci M. Fermor !

 En revanche, notre pur anglais se laisse davantage séduire par d’autres îles… plus british : il aime "l’atmosphère victorienne" de Roseau la capitale de la Dominique, il est charmé par la Barbade "restée si profondément anglaise" même s’il y regrette la ségrégation raciale non dite ; il succombe aussi à la Grenade, à Saint Kitts, "l’ancienne aristocrate" et à Sainte Lucie, "la plus française des Antilles britanniques" (le coup de pied de l’âne !). Pour être franc, il n’aime pas trop Antigua "déserte, funèbre et mélancolique", pourtant anglaise et montre des penchants pour Saint Eustache la batave, comme pour Saba qu’il décrit comme "un donjon cylindrique de forteresse avec des villages perchés comme des nids de guillemots".   Il ne résiste pas à "l’atmosphère elfo-africaine" de Charlotte-Amélie, capitale de Saint Thomas "à cause de son passé danois".

L’apogée de son livre se trouve sans doute dans le long séjour qu’il fit à Haïti. Entre réceptions mondaines et combats de coqs, il raconte l’histoire de Toussaint Louverture, montre l’imprégnation du vaudou dans la société et le côté "Dr Jekyll et Mr Hyde" de  chaque haïtien, admire les peintres naïfs "qui brisent les fers de la proportion et de la perspective linéaire". Il consacre un long chapitre aux cérémonies vaudou qui deviennent presque un livre dans son livre. Un de ses passages de plus haute volée est la description du gotha tropical et des pompes de la cour du roi Henri 1er dans son palais du Sans Souci près de Cap Haïtien. Même s’il agace parfois, cet écrivain distingué, anobli par Elisabeth II avant sa mort en 2011, est un écrivain-voyageur d’une saveur exceptionnelle, une sorte de bible pour préparer des voyages curieux et exigeant dans les Caraïbes.

Editions Voyageurs Payot 1993