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"Color Line" au Musée Branly à Paris

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color line musée quai Branly Etats-Unis ségrégation racisme Linogravue (gravure sur linoléum) de 1946 d'une artiste africaine-américaine, Elisabeth Catlett, "I have special reservations" (j'ai des réservations spéciales")

L’Amérique en noir et blanc. Pendant mes voyages je franchis souvent des frontières terrestres, traversant des contrôles de police et de douaniers. Mais à travers le monde je rencontre aussi souvent des frontières sociales et mentales plus infranchissables, sournoises, impitoyables. L’exposition "the color line" au Musée Branly (1) illustre une frontière longtemps imperméable, à l’intérieur des Etats-Unis, mettant les blancs d’un côté et les noirs de l’autre. Nos manuels scolaires et nos journaux français en parlent un peu. Pas assez. En visitant cette exposition (2) très dense, de plus de 600 œuvres et documents, j’ai commencé à clarifier ces pages floutées.

Ce sont des artistes et intellectuels classés du côté noir de cette "ligne de couleur", notamment beaucoup de femmes, africains-américains aux doubles racines, qui y racontent cette ségrégation. Une ségrégation qui est l’héritage direct de l’esclavage. Elle fut mise en place dès l’abolition de 1865 (il n’y a que 150 ans !). A cette époque, l’esclavage est tout de suite remplacé par des lois ségrégationnistes qui ne sont abolies qu’en 1964 (il n’y a que 50 ans !). C’est un intellectuel américain, un ancien esclave, Frederick Douglass, qui crée cet euphémisme très intuitif de "color line" dès 1881, lequel désigne toujours aux Etats-Unis la ségrégation. Car même légalement supprimée, la ségrégation basée sur la couleur de peau subsiste toujours dans la psychologie et les comportements, … même si un noir (en fait un métis, c’est à dire quelqu’un d’aussi blanc que noir) est devenu depuis président des Etats-Unis.

Les artistes noirs restés dans l’ombre des grandes expositions et musées sont mis cette fois-ci en pleine lumière à Paris. Ils révèlent les côtés obscurs d’une civilisation blanche dominante et les côtés lumineux d’une civilisation noire dominée. Et ils le font avec talent et humour. En montrant le pire et le meilleur. Le pire ce sont par exemple les spectacles de "minstrel shows" et "blackfaces" (des blancs se grimant en noir) pour se moquer des "coons" (pour "raccoons" ou "ratons laveurs"). Plus diaboliques sont les  lynchages, véritables meurtres collectifs notamment par le Ku Klux Klan. Il y en a eu plus de 5000 aux Etats-Unis. L’exposition dévoile ces épisodes immondes sur fond sonore de la poignante chanson "strange fruit " interprétée par Billie Holliday.  

Le côté lumineux de l’exposition est la floraison créatrice des artistes africains-américains. Les chanteurs et musiciens de jazz, bien sûr, mais aussi les écrivains et penseurs, les peintres trop absents des musées, les sculpteurs,… Ils se sont aussi distingués dans les sports (boxe, basket, athlétisme,…). Ils ont été aux premières lignes dans les guerres menées par l’armée américaine à l’intérieur de laquelle ils subissaient pourtant la "color line".  J’ai appris dans cette exposition que c’est pendant la 1ère guerre mondiale à Nantes le 12 février 1918, que des soldats noirs de l’armée américaine organisèrent le premier concert de jazz en France au théâtre Graslin sous la direction d’un fameux compositeur africain-américain, James Reese Europe dit Jim Europe.  

Cette expo qui exorcise un monstre de la civilisation américaine ne doit pas dédouaner notre civilisation française. Les frontières socio-mentales n’y passent plus par la couleur (du moins officiellement) mais par des lignes de fractures beaucoup plus insidieuses qui se déchainent contre les plus pauvres et vulnérables des derniers arrivants. Après les ritals, les polaks, les bougnouls, les portos, les chintoks, les nègres,… c’est maintenant au tour des "migrants" (encore un euphémisme vague et non salissant) et surtout des roms d’être rejetés par notre société et par l’acharnement de tous les instruments du pouvoir politique. S’il est difficile de parler de "color line" dans notre France métissée d’aujourd’hui, on peut parler de "poverty line" ("ligne de pauvreté") ou "rom line" (ségrégation des roms), la frontière de ceux qu'on ne veut pas approcher.

(1) "The color line, les artistes africains-américains et la ségrégation", Musée du Quai Branly Jacques Chirac 37, quai Branly 75007 Paris, jusqu’au 15 janvier 2017

(2) J’ai pu la visiter avec une guide du musée passionnante, grâce à l’association "Droit de citer des femmes" de Noisiel en Seine et Marne.

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