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Mes 8 heures dans le cockpit d’un avion de ligne

Je ne suis pas pilote d’avion, mais la chance m’est offerte de vivre une expérience de voyage unique : pour un reportage, je suis autorisé à rester pendant tout un vol long-courrier de Corsair dans la cabine de pilotage, depuis Orly jusqu’au toucher de piste à l’aéroport Aimé Césaire de Fort de France. 8 heures pendant lesquelles j’ouvre grand mes yeux et mes oreilles. Je ne comprends pas tout, mais ce qui se passe est palpitant, je ne vois pas le temps passer.  

Avion cockpit pilotes Plus de 8 heures dans le nez de cet avion
Avec des yeux de non spécialiste, je dois raconter un vol long-courrier vu d’une cabine de pilotage : cette commande d’article qui me tombe dessus est vraiment inattendue. Je suis séduit par l’idée d’un voyage aussi original. C’est la compagnie aérienne Corsair qui accepte tout de suite de jouer le jeu et j’obtiens les autorisations nécessaires. Le vol se fera entre Orly et Fort de France. Sanglé derrière deux pilotes, j’assiste donc, à titre très exceptionnel, à plus de 8 heures du vol CRL 924 dans l’un  des A 330-200 de cette compagnie. Mon strapontin d’observation au fond du cockpit est moins confortable que le siège « Grand Large » (la business class) qui m’a été réservé dans la cabine passagers, mais l’expérience que j’y vis est infiniment plus passionnante !
Privilège de journaliste, j’avais souvent pu pénétrer, toujours pendant de brefs moments, dans des cabines de pilotage en vol et même assister à plusieurs décollages et atterrissages. Je me souviens en particulier de l’atterrissage sportif d’un Airbus A 320 sur la piste gelée de l’aéroport de Saint Petersbourg en Russie au cours duquel l’avion était parti en crabe avant que le pilote ne réussisse à le redresser à la perfection. On m’avait même accordé la faveur d’entrer dans la minuscule cabine du Concorde lors d’un vol entre New York et Paris. Une chance, cette fois-ci, je reste dans la cabine de cet A 330 du début à la fin du trajet.
Trois heures avant le décollage, je suis autorisé à participer au premier briefing de travail, intense, précédant le vol et qui réunit pilotes et spécialiste. Cela se passe au service « Quart Opérations » du siège de Corsair à Rungis. Je fais connaissance des deux commandants de bord très accueillants que je vais suivre, Yves Aitelli, 20 000 heures de vol au compteur, à la fois « instructeur » et « contrôleur », et Sébastien Pirre, plus de 10 000 heures de vol, terminant une formation qui lui permet de passer des commandes de B747 à celles d’A330. Une situation un peu atypique car normalement, pour un vol inférieur à 11 h, un seul « commandant de bord » est assisté d’un officier pilote de ligne (au-delà de 11 heures de vol, il faut 3 pilotes).
 
Corsair  Yves Aitelli commandant de bord et instructeur aux commandes
Un tout premier briefing intense et dense  
Tous deux examinent méthodiquement et « au plus près possible du réel » les données et les documents du vol : des cartes, des listing, leur iPad, etc,... Le moindre détail est ausculté avant les 8h30 de vol à venir. On baigne dans l’hyper technique : la météo, les nuages et les vents (des turbulences sont prévisibles sur le Golfe de Gascogne et à l’arrivée nous traverserons la traîne d’une dépression), le plan de vol qui a été déposé à l’ATC (Air traffic control), la « route » qui passera ce jour un peu au sud des Açores, les « terrains d’appui » au cas où (Lajes aux Açores ou les Bermudes ), les NOTAM ou « Notice TO AirMen » (on annonce par exemple ce jour un croisement d’avions militaires et un parking avions fermé à Fort de France) les cartes et les plans d’approche, la charge de l’avion (209 passagers dont 5 enfants et 3 bébés, 5,4 tonnes de cargo et son chargement précisément identifié de matières potentiellement dangereuses), etc, etc,…
Aucune fébrilité, mais beaucoup de concentration. « Nous sommes dans un univers éminemment dynamique, on s’adaptera en cours de route », souligne Yves Aitelli. Une discussion et des calculs suivent pour déterminer l’emport optimum de carburant. Il faut trouver le juste niveau entre les contraintes de sécurité et les économies, car une tonne de carburant supplémentaire génère 300 litres de consommation en plus. Une marge est décidée, il faudra 60,8 tonnes très précisément. Les consignes sont ensuite transférées dans un briefing particulier, auquel je n’assiste pas, aux 8 membres du PNC (personnel navigant commercial), c’est-à-dire les hôtesses et stewards. Le moteur du bus tourne déjà pour emmener l’équipage à l’aéroport.
 
Les « check lists » se multiplient
Environ 1 heure avant le décollage, nous sommes déjà installés dans le nez ultra technologique de l’A330 qui offre une vue plongeante et panoramique sur la piste d’Orly. Les instructions qui me sont données sont claires : je n’ai pas l’initiative de la parole pour ne pas perturber les pilotes. Eux seuls peuvent m’adresser la parole. De fait, les deux navigants rehaussés de quatre galons dorés à leurs épaulettes bleu marine s’affairent déjà, en bras de chemise blanche, concentrés dans d’interminables et méticuleuses « check lists ». Ils égrènent des chiffres et des données, étalent des cartes, vérifient pas moins d’une dizaine d’écrans dont quelques « glass cockpit » vitaux qu’ils appellent les « cerveaux » ou « Primary Flight Display » (PFD). Ils tapotent sur des claviers, ajustent, du plancher au plafond, d’innombrables manettes et interrupteurs lumineux. Un long ballet dans un jargon incompréhensible pour un néophyte se déroule jusqu’à l’ultime « before start check list ». Le temps de préparation du vol, qui m’a semblé interminable, approche de sa fin.
Le chef de cabine indique que les derniers passagers viennent d’embarquer. Tout est prêt pour le départ. Le commandant fait une annonce en cabine  pour indiquer le temps de vol, les turbulences annoncées, et la température prévue à l’arrivée (29 °). Les deux pilotes règlent au millimètre près leurs sièges pour ajuster leur bras au « side stick », la manette latérale qui permettra le pilotage manuel au départ. Ils ajustent leur casque micro sur la tête. Les deux commandants se répartissent les tâches : Sébastien assurera la navigation et le pilotage et Yves le contact radio et les questions mécaniques. Mais nous travaillons « toujours en bonne synergie et en vérifications réciproques pour garder une bonne conscience de la sécurité (« situation awareness ») », soulignent-ils en se retournant vers moi.
 
La puissance et la tension du décollage
Déjà le « push » (le véhicule de repoussage)  tire les tonnes du monstre vers l’arrière de l’aérogare. Les moteurs démarrent en sifflant, et en lâchant de brefs effluves de fuel. Les échanges radio nasillards ne cessent plus avec la tour de contrôle tandis que la concentration des deux pilotes sur les écrans est au plus haut. Le roulage vers la piste de décollage se fait en douceur en suivant une ligne jaune au sol pour aller se ranger sagement derrière d’autres avions en attente de départ, jusqu’à une inscription rouge sur le sol « RWY ahead » (« piste d’envol devant »).
L’avion géant se positionne doucement en bout de piste. Top départ. Les moteurs poussés d’un coup au maximum rugissent, le cockpit tremble et s’ébroue, la masse s’ébranle, accélère très vite. Je peux vous dire que l’impression n’a rien à voir avec les jeux vidéo ou les sites Internet simulant le pilotage d’un avion. On ressent au tréfonds de soi la masse vibrante du mastodonte. Les bords de piste défilent de plus en plus vite. Le décollage suit rapidement : l’avant se soulève puis l’ensemble de l’avion s’arrache du sol. Les immeubles et les maisons s’éloignent. Les premiers nuages du ciel bas sont atteints en quelques secondes. Minutes de tension pendant lesquelles on n’entend que les moteurs et le grésillement de la radio. Un premier virage sur une étroite trouée du ciel laisse apparaître une zone industrielle au milieu d’un damier de champs. Mes oreilles bourdonnent et les premières turbulences secouent la carlingue dans les barbules, au sortir des nuages. L’intensité de la lumière augmente et les pilotes tirent leurs bons vieux pare-soleils, encore utiles dans cette bulle de très haute technologie.
Corsair Sébastien Pirre, le deuxième commandant de bord qui était aux manettes de ce vol
Pilotage automatique 
A 3000 mètres, le pilote automatique est enclenché et les deux pilotes retirent leurs casques. C’est un moment de décompression « qui n’exclut pas des réflexes pavloviens, comme le basculement de la radio du casque vers l’interphone », souligne Sébastien. Puis 50 mn avant d’atteindre les espaces sans contrôle radar de l’Atlantique, est lancée la demande  de « clearance » (autorisation de traversée de l’océan). Elle est adressée au centre de contrôle basé à  Shannon en Irlande. Sans cet accord lui permettant de franchir la « porte » qui lui ouvre le grand ouest Atlantique, le bimoteur devrait patienter en faisant des cercles.
Au sortir du continent, la vue est dégagée au-dessus de Quiberon et de Belle-Ile qu’on distingue nettement. « Les heures de pilotage automatique qui nous attendent ne nous laisseront pas inactifs contrairement à ce que pensent beaucoup de passagers, » explique Yves. « Un pilotage manuel concentrerait toute notre énergie à maintenir le cap sur une ligne droite, ce que la machine fait très bien. L’automatisme nous permet d’être plus disponibles, attentifs à tous les autres paramètres et pro-actifs. Le pilote garde un bon sens que l’ordinateur n’a pas. » De fait, les deux pilotes maintiennent un dialogue technique permanent autour des paramètres du vol et profitent de leur disponibilité relative pour réviser des procédures et scénarios.
 
Maintien absolu de la vigilance
Pendant ces longues périodes de pilotage automatique, les navigants révisent entre autres des scénarios de réaction à des pannes, notamment les « ETOPS » (Extended-range Twin-engine Operation Performance Standards) pour gagner en disponibilité en cas d’imprévu. Ils visualisent sur leur écran le point « le plus critique » celui entre les deux aéroports les plus éloignés, imaginant le pire à cet endroit précis (panne moteur + dépressurisation) pour mieux avoir en tête le scénario de sortie : il resterait assez de carburant pour voler 3 heures à basse altitude sur un seul moteur jusqu’à un aéroport. 
Avec la longueur des vols un des dangers reste la fatigue humaine, sournoise, qui fait baisser la vigilance et empêche de voir les dérives subreptices du vol, admettent les deux hommes. Les pilotes savent comment lutter contre ce risque : ils s’accordent à tour de rôle des microphases de récupération (qu’ils appellent « sieste flash » ou « power-nap »), un relâchement de quelques dizaines de minutes pendant lesquelles le coéquipier assume seul tout le contrôle de l’appareil. « Un avion parcourt 15 km à la minute. Il faut être réactif mais sans stresser, en particulier pour pouvoir faire face à une surabondance d’informations ».
 
Les heures passent
Pendant des heures, en suivant rigoureusement la route prévue, l’avion traverse un ciel clair, survolant une ouate infinie de nuages, tout en étant fréquemment secoué de turbulences indécelables et imprévisibles mais très supportables. Par les canaux de la radio, le ciel semble en permanence peuplé de voix invisibles, étranges, nasillardes, pincées, flegmatiques, mécaniques et lointaines qui énoncent en anglais des séries d’informations techniques.
Les heures passent. Le chef de cabine et les PNC entrent et sortent de temps en temps pour échanger de brèves informations et apporter les plateaux repas. J’en oublierais presque qu’il y a plus de 200 passagers derrière nous. Pas les pilotes qui restent vigilants sur l’ensemble de leur avion.
 
Vers l’atterrissage
Tout à coup, je sens que quelque chose se prépare. Le temps des préparatifs de descente est imminent. 15 mn avant l’amorce des premiers paliers de la descente, les deux pilotes effectuent un nouveau briefing pour préparer l’approche de l’aéroport qui est entouré de montagnes et d’un volcan. Il restera 1 h de capacité d’attente en carburant au cas où l’on ne pourrait pas se poser du premier coup. Les dernières données météo qui tombent toutes les 30 mn montrent que les conditions à Fort de France paraissent mi-figue mi-raisin. L’annonce est faite aux passagers de manière positive en parlant d’un temps « partiellement ensoleillé ».
La descente commence et la tension remonte. A 3000 m le pilote automatique est délaissé. Puis d’un coup, au sortir d’un nuage, la masse de montagnes de la Martinique se détache entre des cumulus bourgeonnants et une mer argentée. Les quelques percées du soleil sont déjà un peu rougeoyantes sur l’horizon. Nous survolons l’île avant de revenir en faisant une grande boucle. Un nouvel échange intense de chiffres entre les pilotes, un nouvel ajustement de touches et de boutons, de bips, d’alarmes. Une voix grave automatique égrène les altitudes restantes. L’axe de la piste est très visible et le toucher de la piste quasi impeccable. « Bienvenue à Fort de France, la température extérieure est de 30 ° ». Les passagers, qui ont passé un vol paisible, sont aux anges et, moi, je plane sur un petit nuage.
Mais cette fois-ci je ne profiterai même pas des plages ensoleillées de la Martinique. Mon travail m’attend et je dois rentrer de suite. Je patiente donc 4 heures dans les salons de l’aéroport de Fort de France puis je réembarque dans le même avion qui repart pour un vol de nuit en direction d’Orly… avec un autre équipage. Mon siège « Grand Large » me tend les bras et je dors profondément et paisiblement en rêvant d’un vrai voyage en Martinique. Un rêve que je pourrai réaliser peu de temps après.
 
Un condensé de cet article a été publié dans le magazine l’Echo Touristique
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