Voyageur inclassable. Julien Doré, l’agitateur prodige de la chanson française, voyage en musique. Il va chercher son inspiration par exemple du côté du hip hop américain, voire du folk. Son album « LØve » (« Lion » en norvégien et en danois), imprégné des désillusions d’une rupture amoureuse, est émaillé de références géographiques : dans la chanson « Paris Seychelles » il fait des sauts de puce dans l’Océan Indien, des Seychelles à l’île Maurice (il cite l’île aux cerfs), ou bien il s’échappe au Mexique en pays maya. Dans une autre chanson, « Viborg » (du nom d’une ville danoise), il renvoie à Barcelone, au Brésil, à Rome, aux Peaux-Rouges et à Tokyo. Un mélimélo bien conforme à ce dadaïste affiché, fan du peintre Marcel Duchamp, incontrôlable, imprévisible, insupportable, agaçant, un brin subversif qui admet avoir inventé « un personnage dandy, séducteur, clownesque, hystérique ». On l’attendait dans le registre de l’exubérance, du folichon, de l’extravagance. Or, dans cet album, il roucoule des mélodies sobres, sages, subtiles et douces, en jouant à faire rebondir quelques mots de français et d’anglais. Une fois de plus il brouille les codes. Mais Julien Doré brille. Je trouve personnellement qu’il a un air de famille -y compris la tignasse- avec le poète Paul Verlaine, celui-là même qui a écrit « Il pleure dans mon cœur comme il pleut sur la ville » ou qui a représenté son ami Arthur Rimbaud dans un dessin intitulé « les voyages forment la jeunesse ». Ce jeune voyageur apprenti qu’est Julien Doré pourrait chanter Verlaine : « Je ne sais pourquoi, mon esprit amer, d'une aile inquiète et folle, vole sur la mer ».