Images envolées. La première fois que je suis allé à Lassithi en Crète, il y avait ces moulins blancs aux élans angéliques. Quand j’y suis retourné quelques années plus tard, ils s’étaient envolés. "On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve", disait le philosophe grec antique Héraclite d’Athènes. Cette sentence s’applique aussi aux voyages : on ne voit jamais deux fois la même chose.
Je l’ai expérimentée de nombreuses fois en retournant souvent plusieurs fois dans les mêmes pays, dans les mêmes lieux. Parfois j’ai eu l’impression de retrouver la même sensation que par le passé. Mais le plus souvent je n’ai pas vu ou ressenti ces pays ou ces lieux de la même façon que la fois précédente. Bien sûr il y a des différences entre les saisons ou les heures. Parfois des catastrophes naturelles. Mais quand l’homme laisse son empreinte à un paysage, les modifications peuvent être brutales, selon qu’il crée, abandonne ou détruit. Exemple avec ces moulins disparus en Crète.
Le plateau du Lassithi en Crète orientale était connu depuis des siècles comme le plateau aux 10 000 moulins voilés de blanc. Leur première installation datait, m’a-t-on dit, de l’époque vénitienne, au XVème siècle. Ce plateau entouré de montagnes était hérissé de petites éoliennes servant à pomper de l’eau pour irriguer des terres très fertiles. Elles étaient surmontés, plus en hauteur, de moulins à grains. Aujourd’hui les éoliennes d’irrigation ont été remplacées par des motopompes électriques et les moulins à grains à l’abandon tendent leurs tristes bras immobiles, dépouillés de leurs ailes blanches.
L’abandon de ces moulins, qui avaient façonné le paysage, avait commencé dans les années 1970 à cause de l’exode rural. Mais dans les années 1990, une agence de développement locale soutenue par l’Union européenne avait été créée pour restaurer 300 de ces moulins. Ils sont alors revenus dans le paysage, comme par exemple les carrelets de pêche sur la côte Atlantique. Hélas ces moulins traditionnels restaurés eux-mêmes ont progressivement disparu. Le plateau de Lassithi n’est plus ce qu’il était. Et les vieux moulins artisanaux locaux sont remplacés sur d’autres hauteurs de l’île par des éoliennes industrielles géantes. Les mêmes que dans tous les pays du monde.